Au téléphone, piste d'écriture

De mon point de vue, on ne prête jamais assez attention à ces instruments qui colorent notre quotidien, ouvrent des possibilités, en ferment d’autres. Je me suis inspirée du roman Villa Taylor, de Michel Canesi et Jamil Rahmani, éditions Anne Carrière, 2017, pour construire cette piste d'écriture. Diane, la narratrice de ce roman, a trente-cinq ans, est très sollicitée par son travail de banquière d’affaires. Les moyens de communication modernes ont forcément une place importante dans sa vie ; le téléphone, en particulier, ligne personnelle et ligne professionnelle, appels directs, sms, mails… Ils imposent de rester en alerte ; mais elle peut hiérarchiser et filtrer, et elle ne s’en prive pas. Cependant, à la mort de sa grand-mère, Diane part pour le Maroc et s'installe dans la villa des années 1920 où résidait la vieille dame. Là, Diane se trouve comme plongée dans un autre temps : Une sonnerie de téléphone brise la sérénité du parc, une sonnerie interminable, une sonnerie d’avant, de celles qui forçaient à répondre. En ces temps lointains, les appels étaient anonymes, masqués, enveloppés de mystère. Le bruit effraie les moineaux qui picorent à mes pieds. Ils s’égaillent, désordonnés.
Halima décroche enfin. Elle s’approche, l’appareil à la main, suivie d’un fil blanc démesuré. J’esquisse une moue interrogative.
– C’est pour vous, le fils du notaire.
Mon interrogation se mue en contrariété, je n’aime pas être prise au piège. Je refuse de lui parler. Halima bafouille une excuse plausible et l’interroge sur la raison de son appel. Elle plaque une main sur le combiné et chuchote qu’il veut me rencontrer. Je lui fais répondre que j’ai peu de temps mais qu’il passe dans moins d’une heure, pour moins d’une heure.

Ce téléphone autoritaire, c’est un peu la voix de sa grand-mère. Le rapport qu’elle entretient avec ce téléphone fixe, à cadran, est différent, moins maîtrisé. Pour savoir qui appelle, il faut répondre… quitte à se trouver pris au piège d’une conversation avec un interlocuteur qu’on ne souhaite pas. Malgré cette pression symbolique, Diane cette fois trouve un biais : elle laisse la domestique répondre.
Au fil des pages, on voit Diane évoluer et surtout, son rapport au monde changer. Cela se traduit, entre autres, par un usage différent du téléphone et d’internet. Elle refuse désormais d’être joignable à tout moment par sa hiérarchie ; en contrepartie, il lui arrive à elle aussi d’attendre, de solliciter. L’armure d’indifférence qu’elle avait érigée et qui la protégeait se lézarde. Lorsqu’elle attend un appel ou un message qui ne vient pas, c’est son tour d’éprouver impatience, frustration, voire vide ; mais ces émotions sont également des signaux qu’elle s’adresse à elle-même. Ils la poussent à agir, l’incitent à changer. Diane a été, croit-elle, abandonnée par sa mère. Elle veut en comprendre les raisons, mais il y a eu omerta sur cette histoire dans son entourage. A présent que sa grand-mère n’est plus, elle va enquêter, avec l’aide inattendue du fils du notaire, qui a lui-même levé un secret dans sa propre famille.

Pistes d’écriture :

1.Le téléphone, un marqueur de l’époque: Quel est votre rapport, et celui de vos proches, au téléphone ? A-t-il évolué ? On peut d’ailleurs parler des téléphones, tant les usages sont différents. Si vous préférez parler d’un autre objet que le téléphone, aucun problème, tant qu’il a connu une évolution dans sa technique et ses usages.
2. Ecrivez une scène, ou des scènes, où le téléphone joue un rôle. Est-il un acteur à part entière, ou surtout un élément de stratégie ? Que dit-il du rapport au monde, et/ou aux personnes présentes, du protagoniste ? Vous pouvez partir de l’une de ces phrases, en les modifiant au besoin :
- Le téléphone insiste. Le répondeur se déclenche, ma voix détachée invite au message.
- Une sonnerie de téléphone brise la sérénité du parc, une sonnerie interminable, une sonnerie d’avant, de celles qui forçaient à répondre. En ces temps lointains, les appels étaient anonymes, masqués, enveloppés de mystère.
- La sonnerie d’un portable retentit du fond de mon sac. Portable professionnel. (Ou : sonnerie spéciale, ou toute autre précision qui identifie le type d’appel).
3. Déroulez une suite de scènes où l’on voit le rapport à l’instrument changer. Vous pouvez marquer des ellipses entre ces scènes. Dans ce cas, indiquez des dates, ou des âges, ou bien des notations du type : « Trois mois plus tôt », « Deux ans plus tard », « Vingt ans ont passé ». « 12 ans » ; « 16 ans » ; « 25 ans » ; « 40 ans », etc.

 

Photo de Elena Koycheva sur Unsplas

Pistes d'écriture et textes
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