Hors des sentiers battus, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture : S'inspirer du visuel représentant deux petites filles regardant par le trou de la serrure pour écrire sur le thème de la curiosité

La curiosité est un vilain défaut. Le dit-on encore aujourd'hui ? Autrefois, cette phrase permettait surtout aux adultes d'évacuer les questions trop dérangeantes des enfants sur des sujets tabous comme la sexualité, la maladie, la mort...

Sur la photo, que veulent surprendre les petites filles en chemise de nuit derrière le trou de la serrure ? On imagine qu'on est plus ou moins dans les années 60. Ont-elles entendu du bruit ? Veulent-elles suivre la conversation des adultes, de celles dont on leur a dit : « Vous êtes trop petites pour comprendre. On vous expliquera plus tard »?

Peut-être que la pièce d'à côté est la chambre de leurs parents, d'où parfois la nuit parviennent de drôles de bruits qu'on n'entend pas le jour.

Dans les années 60, les petites filles de six ou huit ans ne savent pas ce qui se passe dans la chambre des parents. Alors, elles imaginent. Elles sont nourries d'histoires enfantines et de contes plus ou moins terrifiants. Un peu effrayées ou jouant à se faire peur, elles veulent savoir.

 

Claire, la plus petite des deux, ne se souvient pas avoir voulu surprendre ses parents dans leur chambre. Mais ce dont elle se souvient, c'est d'avoir lu en cachette leur correspondance amoureuse. Par hasard, vers neuf ou dix ans, elle avait découvert, en cherchant quelque chose dans la table de nuit de sa mère, une liasse de lettres un peu jaunies, bien rangées tout au fond. Profitant de l'absence de ses parents qui les laissaient souvent seules à la maison, elle avait ouvert la première lettre du paquet. Son père y avait écrit un poème très amoureux, mais très chaste aussi. Aucun mot ne l'avait fait rougir. Elle savait bien qu'elle transgressait. Elle n'avait pas à lire les lettres qui ne lui étaient pas adressées sans permission. Mais la curiosité était plus forte. Elle la poussait à ouvrir les enveloppes les unes après les autres et à découvrir ainsi que ses parents avaient été follement amoureux. Ça la réconfortait de les voir sous un jour plus romantique, loin des tracas du quotidien qui alimentaient souvent leurs disputes.
Elle n'avait pas lu ces lettres en une seule fois, car il y en avait beaucoup. Elle y revenait en secret quand elle savait que personne ne pouvait la surprendre, pas même sa sœur aînée à qui elle n'avait rien dit. Elle avait gardé ce secret pour elle seule. Elle supposait que sa sœur, plus respectueuse des règles et moins curieuse qu'elle, aurait été choquée et le lui aurait reproché.

 

Enjamber une clôture, passer une vieille porte, visiter une maison abandonnée, cela avait toujours fasciné Claire. Sa famille habitait en face d'un petit château, entouré d'un parc si grand que les habitants du château ne pouvaient pas surveiller tout ce qui s'y passait. Or, elle avait repéré avec son frère que la clôture était facile à franchir par endroits. À la nuit tombée, un soir d'été, ils ont donc franchi le grillage. (Oui, les parents les laissaient dehors sans surveillance, à la nuit tombée, ce qui n'était pas exceptionnel à l'époque !) Ils se retrouvèrent dans un taillis de ronces où il était difficile d'avancer. Ils firent donc vite demi-tour. Mais le soir suivant, armés d'une lampe de poche, ils réussirent à atteindre une petite clairière, où émerveillés, ils s'assirent quelques instants pour regarder la cime des arbres et les étoiles. Et puis, ils ont recommencé leurs expéditions de jour, en poussant toujours un peu plus loin. C'était un petit secret entre son frère et elle qu'ils n'ont révélé à personne, sinon des années plus tard, une fois les méfaits prescrits.

 

Un peu plus âgée, lors des promenades en famille, en Sologne, c'était toujours elle qui enfreignait les panneaux « Propriété privée – Défense d'entrer » pour aller admirer le château caché dans les bois ou le petit étang bordé de roseaux où son approche débusquait quelques canards sauvages. « Où étais-tu encore passée ? », lui reprochait-on quand elle rejoignait le reste de la famille. « J'ai vu ce château ou ce petit étang. Je vous y emmène ? — Non, non, on y va maintenant, c'est une propriété privée ». Aujourd'hui, ce serait différent, car même les riches propriétaires de Sologne doivent laisser traverser leurs immenses domaines et l'on peut mieux admirer leurs demeures, sans toutefois s'éloigner des chemins balisés.

 

Quand jeune adulte, Claire s'est installée à Paris dans les années 70, la ville qui était alors un grand chantier de rénovation lui a offert un nouveau terrain de jeux. Pour elle, tout était nouveau et elle voulait tout connaître, tout découvrir. Elle se déplaçait alors avec une petite mobylette qui lui permettait d'aller rapidement d'un point à un autre. Mais il lui arrivait aussi, lors de longues soirées d'été, de traverser Paris à pied tout en bavardant avec des copains.

À l'époque, les Halles étaient un immense trou entouré de palissades et tout autour, il y avait des petites rues avec leurs boutiques à l'ancienne, leurs vieux troquets, tout un petit monde figé dans les années d'après-guerre, avant le grand bouleversement des prochaines décennies. Un de ses copains habitait rue de l'Arbre sec qui débouchait directement sur le trou des Halles. Il connaissait le quartier comme sa poche et lui en a fait découvrir tous les recoins.

À proximité, le Marais offrait aux regards curieux toutes ses richesses en péril. Aujourd'hui somptueusement restaurés et dissimulés derrière de lourdes portes cochères avec digicodes, les hôtels particuliers étaient à cette époque presque en ruine et solidement étayés par de grosses poutres entrecroisées. Il suffisait juste de se glisser dans les cours pour découvrir ces trésors et imaginer ce qu'ils allaient devenir. Souvent, c'était la nuit qu'elle entrait par effraction, seule ou accompagnée, et l'impression de mystère n'en était que plus vive.

 

La curiosité de Claire l'a toujours poussée à faire de nouvelles rencontres. À vingt ans, on se fait de nouveaux amis facilement et dans une grande ville comme Paris, les possibilités sont infinies. Les amis de ses amis devenaient ses amis et à cette époque, ils venaient de plusieurs continents, l'Amérique latine surtout, mais aussi des USA, du Maghreb, de l'Afrique... Sa curiosité pour son environnement et les gens qui l'entourent a toujours été et reste encore aujourd'hui le sel de sa vie. Elle a bien fait de ne pas croire au vieil adage maintes fois entendu dans son enfance !

Illustration: guettyimages

Pistes d'écriture et textes
Retour