Jouer des parenthèses et des détails pour établir une connivence avec le lecteur, avec Antono Lobos Antunes, piste d'écriture

Si je n’étais pas bègue,  j’oserais lui parler.  Elle habite trois pâtés de maisons plus loin,  nous prenons le même autobus tous les jours,  moi au quatrième arrêt elle au cinquième,  nous nous regardons l’un l’autre durant les vingt minutes

(une demi-heure lorsqu’il y a beaucoup de circulation)

du trajet qui sépare notre quartier du Ministère,  elle travaille deux étages au-dessus du mien,  nous prenons le même ascenseur sans nous quitter des yeux,  parfois il me semble qu’elle me sourit

(je suis presque sûr qu’elle me sourit)

Début de "Une goutte de pluie sur le visage", in Antono Lobos Antunes, Dormir accompagné. Chroniques. Traduit du portugais par Carlos Batista. Christian Bourgois éditeur, 1998, 2001 pour la traduction française.

Le personnage du narrateur existe par sa façon de s’exprimer, il bégaie, entre espoir et hésitation. Ces parenthèses qui coupent les phrases et vont à la ligne m’ont beaucoup amusée. Elles permettent d’apporter toutes sortes de détails tout en gardant visible l’essentiel. Elles créent aussi de la connivence. Elles me font penser à un locuteur qui baisse la voix et vous regarde dans les yeux. Un autre exemple: 

De l’autre côté la route de Benfica, presque en  face de chez  monsieur Filipe, Vaisselle & Verres

(cagibi minuscule encombré d’éléphants en terre cuite et de tigres en porcelaine grandeur nature, de recueils d’histoires drôles,  d’almanachs perpétuels et de romans d’occasion de Maxime Gorki)

il y avait (…) la boutique Foto Aguiaa de Ouro.

Tous les matins sur le chemin de l’école et tous les soirs à la sortie des classes,  je restais bouche bée devant les jeunes mariées de la vitrine.

L’auteur est né en 1942 et vit à Lisbonne.  Il est médecin et écrivain. Ses chroniques mêlent souvenirs personnels et réminiscences imaginées d’inconnus.  Elles captent l’instant perdu, les anecdotes anodines et les songeries. Une nouvelle cherche à raconter,  à conclure.  Une chronique peut rester dans l’inachevé de la vie. Elles font souvent la part belle au quotidien.  Il faut trouver un ton, un style. En journalisme comme en littérature,  le regard particulier de l’auteur est important. 

Dans les extraits que j’ai relevés,  le lecteur est tout de suite emporté dans un univers.  Un certain rythme est apporté par les parenthèses et les leitmotiv. De plus, cela permet de manier différents niveaux de pensée, de dire la profusion sans perdre le fil conducteur principal. Essayez-vous-y! 

Pour entrer davantage dans cette oeuvre, je vous propose d'écouter l'émission que Guillaume Galienne a consacré à ce tome des Chroniques, en suivant ce lien: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ca-peut-pas-faire-de-mal/dormir-accompagne-de-antonio-lobo-antunes-8147640

ou allez lire sa description sur la page de son éditeur, https://bourgoisediteur.fr/catalogue/dormir-accompagne/

 

 

 

Pistes d'écriture et textes
Retour