Une goutte de pluie sur le visage... par Didier Chabbert

Piste d'écriture: les parenthèses, avec Lobo Antunes

Une goutte de pluie sur le visage, je crois qu’elle me sourit.

(L’averse se termine, je ferme mon parapluie)

un brin de retenue d’un côté, un brin de timidité de l’autre, mais à cet instant quelque chose se passe, comme une étincelle.

(Inattendu ce matin gris d’automne d’une journée comme une autre)

je suis saisi par la clarté de son visage, le vert de ses yeux, cette mèche blonde, une image de la douceur.

(Je pense à George Brassens : un petit coin de parapluie contre un coin de paradis)

non, je ne peux pas, pas cette fois...

poursuivant mon chemin, j’essaie de regarder les vitrines pour reprendre mes esprits.

L’eau dégouline dans les trottoirs, je marche dans une flaque d’eau.

(Je revois cette goutte sur son visage :

comme une perle, comme une larme, comme la rosée du matin sur une fleur ouverte.)

Et cette image tourne dans ma tête, elle tourne, tourne.

Je cherche, j’essaie de me souvenir où, quand j’avais déjà aperçu cette jeune femme.

Il faut presser le pas, c’est l’heure de ma vie au travail.

Tour à tour concentré sur une tâche où ailleurs, doucement l’esprit divague et retourne vers cet instant divin.

(Et si c’était la fleuriste du bout de la rue ?)

Ce soir, en sortant du travail, j’irai acheter un bouquet, il y a longtemps que je n’ai pas offert des fleurs à ma bien aimée.

Comme cette journée est longue, trop longue...

quel ennui, il y a des mois que je souhaite quitter ce job, mais pour aller où, pour faire quoi ?

 

Je n’aime pas les chiffres, je n’aime pas les ordres et je n’aime pas l’ordre tout court.

(Un jour, tu verras tout changera)

rien n’a avancé, la pile de dossiers à traiter n’a guère baissé.

Un peu, tout de même, le dossier vert a laissé place au dossier rouge

(dossier difficile donc pour demain)

Retour à la maison sous la pluie.

Ma compagne est surprise mais ravie de recevoir un bouquet chatoyant, coloré et parfumé.

On raconte sa journée.... mais pas tout.

Je pose une goutte d’eau sur une feuille,

(j’y pense encore)

non, ce n’était pas la fleuriste.

 

Les semaines passent. Toujours le même bus, ensuite toujours le même chemin à pied, les mêmes boutiques, les mêmes heures, les mêmes gens, la même grisaille.

(Il faudrait vraiment que quelque chose change, comme une fenêtre sur l’avenir, mais je n’ai pas le courage.)

Cette femme, ce visage à nouveau... non, ce n’est pas elle.

Non, ce n’est pas ce clair visage aux yeux verts, cette mèche blonde, cette femme qui avait quelque chose d’un ange.

Mais je n’ai rien su de toi, de ta vie, de ton mystère.

Si j’avais osé, si j’avais parlé, si j’avais délicatement séché cette larme de pluie, aurais-tu partagé mon parapluie ?

Photo de Clem Onojeghuo sur Unsplash

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